L'été 2017 nous a offert deux films LGBT sur grand écrans. Le Tom Of Finland de Karukoski et 120 Battements Par Minute de Campillo.
J'ai déjà fait part sur Twitter de mes réserves quant au premier à cause du déséquilibre de sa structure qui focalise davantage sur les années militaires de Touko Laaksonen pour se contenter d'effleurer le reste avec des ellipses bien frustrantes. Si la peinture de la condition homosexuelle de cette époque est plutôt réussie, ce biopic pêche au final par des lacunes intimes sur son personnage principal. Mais là n'est pas le sujet de ce papier...

 

Avant-Première 120 Battements par Minute

Avant-Première 120 Battements par Minute

L'autre film Rainbow de l'été donc, 120 Battements Par Minute, une peinture du militantisme d'Act-Up et les premières luttes des années Sida qui a enthousiasmé le Festival de Cannes au point de recevoir son Grand Prix du Jury.
21 Août, grande salle de l'UGC des Halles, avant-première, des conditions idéales pour recevoir ce film sans être conditionné par l'avis d'autrui. Robin Campillo appelle et remercie les acteurs de son film, son émotion est palpable. Je suis callé dans mon siège prêt à recevoir ce film et la claque que je présume aller avec... Deux heures vingt plus tard, les lumières de la salle se rallument, retour de l'équipe du film sous une salve ininterrompue d'applaudissements. Je sais d'ores et déjà qu'il va me falloir laisser décanter tout ça pour pouvoir en parler. À ce moment précis, je n'ai de pensées que pour P., disparu en 1995, et bien évidement pour P. Sputnik...
 
120BPM n'est pas le film que j'attendais mais en est-il "moins bon" pour autant ? J'ai d'abord été surpris par la juxtaposition du récit militant avec les actions d'Act-Up et la bluette romantique et funeste entre deux protagonistes. Mais dans le fond quand on y réfléchit bien, pourquoi le premier devrait exclure le second ?
Comme beaucoup, j'ai été désappointé par l'absence de marqueurs temporels précis. Même en ayant vécus certains faits (de loin... mon militantisme n'a hélas jamais été associatif) évoqués dans ce film, j'ai eu beaucoup de mal à reconstituer la timeline et à démêler le réel de la fiction. Avais-je 22 ou 26 ans à tel moment ? Peut-être revoir le film minutieusement en dvd me permettra d'évaluer avec plus de précision la chronologie. En fait, si comme Matoo j'aurais certainement apprécié un film hollywoodien à la Milk ou une fresque à la When We Rise, je reconnais que la forme proposée par Campillo est peut-être celle qui convient le mieux à Act-Up. Imagine-t-on Act-Up dans un cadre bien léché et formaté ?
Au final, le film n'en est certainement que plus organique et viscéral.
 

120 Battements par Minute

120 Battements par Minute

Mais ce qui m'a le plus manqué est le point de vue extérieur sur les actions d'Act-Up. Pas un mot sur les réactions politiques qu'elles ont engendrées, n'oublions pas que certains voulaient quelques années plus tard leur couper des subventions parce qu'ils troublaient l'ordre publique (ces mêmes qui aujourd'hui saluent la force de ce film). Pas un mot non plus sur certains pédés de l'époque qui condamnaient l'extrémisme d'Act-Up et trouvaient que cette association donnait une "mauvaise image de l'homosexualité" (ces mêmes qui aujourd'hui applaudissent des deux mains)... A titre individuel, j'ai toujours admiré Act-Up d'avoir ce courage, que je n'ai jamais eu, à pousser les limites au delà du raisonnable pour faire avancer les choses.
 
120BPM tient aussi sa force du jeu des acteurs toujours dans la justesse, entre force et fragilité. J'ai particulièrement apprécié que les personnages n'aient pas été virilisés à l'excès dans le genre "mascpourmasc" pour faire du beau à l'écran. Tout en évitant la caricature, on voit bien que parmi ces militants on trouve aussi de nombreux gays qui la voix perchée moulinent un peu des poignets. Encore une fois, les marginalisés parmi les marginalisés ont plus de couilles que le "petit-pédé-bien-propre-sur-lui".
Par ailleurs, à une époque où les homos s'uniformisent, j'ai apprécié la raffraichissante diversité de ce film.
 
Pour finir cette note d'impressions, je dirai que 120BPM est un film essentiel malgré ses défauts. Même s'il se trouve à cheval entre fiction et réalité, il donne une idée exacte de l'ambiance des années 90, un morceau de notre histoire collective.
On ne peut donner que raison à Lestrade quand il interpelle Anne Hidalgo sur la nécessité de création d'archives de l'histoire de l'homosexualité en France. L'engouement autour de ce film est certainement la plus claire expression de ce besoin de centralisation d'une Mémoire LGBT.