Je viens seulement de lire l'interview du candidat Sarkozy par le magazine Têtu. Bien entendu, je me suis emporté. Pas tellement à cause des réponses du président-sortant (rien de neuf, on connait hélas son discours), mais à cause du manque de couilles du journal LGBT qui n'a pas eu le courage de le titiller plus que cela en le plaçant devant des contradictions flagrantes. A se demander s'ils ont envoyé au front le journaliste fashion ou people à la place du politique...

Têtu : Il y a un moment que nous désirions vous rencontrer pour connaître vos positions sur les questions intéressant les homosexuels, d'autant qu'il est très difficile d'obtenir une position unique de l'UMP...

Nicolas Sarkozy : Tout d'abord, permettez-moi de vous dire : les homosexuels sont des citoyens comme les autres. Ils ne sont pas réductibles à leur sexualité. (...) Il n'y a pas un problème homosexuel, il y a le problème des minorités. Il me paraît important d'avoir cela en tête quand on parle de cette question. C'est cette même discussion que j'ai eue avec le Saint-Père.
o°o Bon là, je crois qu'il vaut mieux que je prenne le relais* o°o

Orpheus : Mais Benoit XVI n'a pas son opinion à donner au président d'un état laïc...

NS : J'entends bien mais...

Orpheus : Et vous venez de dire que les homosexuels sont des citoyens comme les autres, mais non. Dans la mesure où certains droits, acquis à tous les citoyens français, leur sont refusés, il y a bien une différence sociale qui est affirmée par l'Etat. "Vous n'êtes pas des citoyens comme les autres", voilà ce que dit actuellement la République Française à plusieurs millions de ses citoyens.

NS : Vous parlez là de l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Ma position a toujours été limpide sur le sujet. Comme cela impliquerait la possibilité de l'adoption par des couples homosexuels, je ne peux le concevoir, pour le bien de l'enfant.

Orpheus : Tout aussi discutable que soit ce point de vue "du bien de l'enfant", pourquoi tenez-vous absolument à amalgamer ces deux droits ? Une réforme du mariage est possible sans pour autant en faire une de l'adoption, même si vous...

NS : Soyez un tout petit peu honnête, vous contenteriez vous du premier sans le second ? Non, je ne le crois pas. Alors, je vais vous le dire comme je le pense. En 2007, j'ai pensé qu'on pouvait faire un contrat d'union civile en mairie. Après analyse, les juristes ont indiqué qu'il était anticonstitutionnel de réserver ce contrat d'union civile aux seuls homosexuels, qu'il devait être ouvert aux hétérosexuels...

Orpheus : Alors que cela ne pose aucun problème à ces mêmes juristes, et à vous-même par conséquent, qu'un droit soit réservé aux seuls hétérosexuels ?

NS : Dans ces conditions, j'ai estimé, à tort ou à raison, que ce projet n'était qu'un substitut qui viderait le mariage de sens. J'ai donc préféré amélioré le PACS en le mettant à peu près au même niveau que le mariage. Sauf, je vous l'accorde, en ce qui concerne la pension de réversion, qui coûterait 8 milliards d'euros : nous n'en avons pas les moyens, il a donc fallu y renoncer.

Orpheus : Puisque cela coûterait beaucoup, j'en déduis que cela concerne beaucoup d'individus qui se trouvent donc victimes d'une injustice, et souffrent ainsi d'un préjudice social et fiscal à cause de leur orientation sexuelle : c'est ce que l'on peut justement appeler de l'homophobie.

NS : Alors là, non, écoutez s'il vous plait. Je vais vous dire, je suis prêt à améliorer encore le PACS, on peut déjà le signer chez un notaire plutôt qu'au tribunal, je souhaite également faire en sorte qu'il puisse être signé en mairie, comme de nombreuses associations me l'ont demandé. Et ce même si des agglomérations sont réfractaires à cette idée. La cérémonie en mairie permettrait une vraie reconnaissance sociale, alors soyez gentil, ne me taxez pas d'homophobie.

Orpheus : Soit. Mais que penser alors des propos tenus par des membres de votre parti ? Je cite Brigitte Barèges, députée UMP qui en mai 2010 demande à propos de l'ouverture du mariage "Pourquoi pas avec des animaux ? Ou la polygamie ?". Je cite Nora Berra, secrétaire d'Etat à la Santé en avril 2011 "L'homosexualité est un facteur de risque pour le VIH". Je cite Jacques Myard, sénateur UMP qui qualifie l'homosexualité de "perversion sexuelle". Je cite François Fillon, Premier ministre en février 2012 "L'institution du mariage a un objectif qui est celui de la sécurisation des enfants. C'est un objectif qui ne me paraît pas compatible avec les couples homosexuels". Je passe sur les propos de Christine Boutin qui vous a apporté son soutien à l'élection. Je pourrais également citer la longue liste des déclarations de Christian Vanneste, député UMP depuis "l'homosexualité est une menace contre l'humanité" jusqu'à sa récente négation de la déportation homosexuelle.

NS : Vous savez très bien ce que je pense de ce genre de déclaration, elles sont choquantes et n'ont pas leur place dans la République. Je les condamne fermement.

Orpheus : Et moi, je condamne fermement la faim dans le monde, ce qui ne l'empêche pas de perdurer...

NS : Je comprends très bien votre agacement. En ce qui concerne M. Vanneste, j'ai récemment eu l'occasion de demander son exclusion. Moins d'ailleurs pour ce qu'il a dit la dernière fois que pour l'ensemble de ses déclarations. J'en ai assez. C'est choquant. Qu'il cesse. Cette obsession anti-homo... Pour vous dire la vérité, on est gêné pour lui. Je ne veux pas appartenir à la même famille politique qu'une personne qui pense ainsi.

Orpheus : Cela fait deux mois et à ce jour, 12 avril 2012, il est toujours membre de l'UMP.

NS : Certaines choses prennent du temps. Tout comme l'obtention de droits, il ne faut pas bousculer la société mais agir avec elle, surtout en période de fragilité et d'incertitude, comme celle que nous traversons.

Orpheus : Les récentes enquêtes d'opinion montrent justement qu'une large majorité des français est favorable à l'ouverture du mariage. Et même depuis peu que les français sont majoritairement d'accord avec celle de d'adoption. N'avez-vous pas l'impression de manquer le coche ? Vous parliez de référendum pour d'autres sujets plus secondaires, pourquoi ne pas soumettre cette question au peuple français ?

NS : Je ne pense pas que le système d'indemnisation chômage et la question du droit des étrangers soient des sujets annexes dans les préoccupations des français. Cela les concerne même davantage au quotidien que les droits des homosexuels. Mais je vais vous répondre. Si on dit le mariage, cela veut dire adoption. Je sais qu'il y a des couples homosexuels qui s'occupent parfaitement bien d'un enfant adopté. J'en connais. Et je le reconnais bien volontiers. Je sais qu'il y a des couples hétérosexuels qui s'occupent très mal de leurs enfants. De là à faire une loi pour dire qu'une famille c'est un père et une mère, ou deux pères ou deux mères, je ne le ferai pas.

Orpheus : Ceci n'est pas une explication mais une affirmation.

NS : J'y ai réfléchi. Cela pose en fait une autre question qui est le problème du statut de beau-parent. Que le beau-parent soit un père ou une mère. Je le suis avec Aurélien, je l'ai été avec les filles de Cécilia. J'ai une expérience personnelle de cette question compliquée des droits du beau-parent. Vous pourriez me dire que j'avais une proposition sur le sujet. Je ne suis pas arrivé à la faire passer. Pourquoi ? Parce que le divorce est toujours un moment de tension, de drame intime. Et faire reconnaître un droit au beau-père peut être vécu comme une remise en question des droits du père. De même pour une belle-mère. Je ne sais pas comment régler le problème aujourd'hui.

Orpheus : Vous bottez en touche. Ces problèmes seraient les mêmes pour tous les citoyens sans distinction de leur orientation sexuelle.

NS : Vous pouvez dire que j'ai reculé, oui. Ça ne me gêne pas. Je n'ai pas trouvé la solution.

Orpheus : Toujours est-il qu'à ce jour, l'APGL (Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens) estime à plus de 50.000 le nombre d'enfants vivant dans des familles homoparentales, et que ces enfants, ces familles, se trouvent dans le flou en cas de drame, de séparation ou de décès, sans parler de considération...

NS : Je ne suis pas du tout dans le déni. Je ne fais pas de pirouette, je vous dis : je n'ai pas la solution. Mais la société est tellement déstabilisée par les changements qui affectent son image, par la représentation qu'elle se fait d'elle-même que je ne pense pas que le moment soit venu. Je pense qu'il faut laisser la situation en l'état, dans une zone un peu indécise, qu'on n'est pas obligé de légiférer sur tout, de voter des lois sur tout. Il y a un temps de maturation, un temps d'évolution. On est aujourd'hui dans une situation où il y a une grande compréhension, une grande tolérance, beaucoup d'humanité. Je ne suis pas sûr que la loi résolve tous les problèmes.

Orpheus : Malgré ce climat favorable dont vous parlez à juste titre, les agressions homophobes ne cessent d'augmenter, le rapport annuel 2011 d'S.O.S. Homophobie à ce sujet est alarmant avec plus de 1500 agressions et crimes, soit 300 de plus que l'année précédente, ce qui fait un peu plus de 4 actes homophobes par jour ! Quatre par jour !

NS : Moi, je considère que la question prioritaire, c'est la lutte contre l'homophobie. Il faut de l'éducation dès le collège, c'est là que les questions de sexualité se révèlent. Avez-vous vu le film Billy Elliot ? C'est un des plus beaux films que j'aie jamais vu de ma vie. C'est l'histoire d'un enfant d'une famille ouvrière qui veut être danseur. Et de quoi est-il victime ? De l'homophobie. Je ne suis même pas sûr qu'il soit homosexuel d'ailleurs, mais il est victime de l'image que les autres se font de lui. Et c'est le milieu le plus populaire qui soit.
 
Orpheus : Oui, très beau film en effet. Et avez-vous vu Polisse ? C'est l'histoire d'une Brigade de Protection des Mineurs, ça se passe en France, de nos jours. Et pas un seul des cas présentés dans ce film ne concerne une famille homoparentale...
 
NS : Pour tout vous dire, la lutte contre l'homophobie est beaucoup plus importante que la lutte pour le droit à la procréation ou pour l'adoption dans un couple homosexuel. Ce n'est pas un sujet de plaisanterie. Je vous rappelle, d'ailleurs, qu'une loi votée pendant mon quinquennat a fait de l'homophobie une circonstance aggravante.

Orpheus : Certes, mais les chiffres sont là pour montrer les limites de cette seule mesure. Et puisque vous parlez du rôle de l'éducation, l'Etat remplirait le sien en donnant l'exemple : considérer tous ses citoyens de la même façon, avec les mêmes droits. Cela mettrait également un terme aux discours vindicatifs de certaines associations familiales catholiques.

NS : De la même façon que, dans les gayprides, on entend aussi des discours virulents. Je ne suis pas sûr que les discours virulents fassent avancer la cause de qui que ce soit, d'un côté comme de l'autre. Il y aurait beaucoup à dire d'ailleurs sur la gaypride. C'est à la fois un phénomène positif, et en même temps, l'homosexualité ce n'est pas forcement un char rose. Moi, je n'ai jamais fait de l'homosexualité une question de gaudriole. Souvent, je me suis dit, si j'étais homosexuel, je serais content de la gaypride, qu'il y ait un jour où je puisse dire "j'existe", mais je ne serais pas content de certaines représentations qui sont faites de ma sexualité... La gaypride est utile, mais elle peut être caricaturale et réductrice.

Orpheus : Les côtés festifs et revendicatifs des marches LGBT s'expliquent historiquement par les événements de Stonewall que je vous invite à lire, vous verrez c'est passionnant de voir qu'une minorité qu'on croyait discrète, fragile et soumise ait réussi à s'affirmer et résister. Tant qu'une différence citoyenne perdurera, vous ne pourrez que faire avec cette virulence. Tant que cette différence perdurera, des jeunes gays n'auront en effet que ce jour pour dire qu'ils existent. Et pour ce qui est des chars roses, votre vision est réductrice, peut-être parce que vous ne la voyez qu'au travers du prisme des média. Il y a des chars de toutes les couleurs, parce que l'homosexualité est multiple, et cette unité parmi les différentes tendances est ce jour-là un bel exemple pour la France. Faites, comme d'autres hommes politiques, venez voir par vous-même !

NS : Pourquoi pas ? De la même façon que vous pourriez me demander si je peux aller à un concert.
 
Orpheus : D'après-vous, quelle image peut avoir de vous un homosexuel qui entend votre discours sur l'absence de solution, votre refus d'ouverture de droit, alors que vous pouvez vous montrer prompt à agir sur bien d'autres sujets, quitte à bousculer l'opinion. Pensez-vous être un homme moderne ?

NS : Je n'ai pas envie d'être moderne dans l'image. J'aime le changement, les réformes, les idées nouvelles et je fais avancer la société à ma manière. Je pense que dans la société, il y a des tensions, que la crise augmente les tensions, et qu'il faut y prendre garde. Et que je fais avancer beaucoup plus la cause en expliquant ce qu'est l'homosexualité.

Orpheus : M. Sarkozy, vous êtes père, et jeune grand-père, si un, une ou plusieurs qui sait, de vos futurs petits-enfants s'avéraient être homosexuel, pensez-vous sérieusement qu'ils pourront dire être de leur grand-père ?

NS : Je le crois. Est-ce que depuis que je suis président, l'épidémie du sida a reculé ? L'homophobie a reculé ? Les droits du PACS ont augmenté ? La réponse est oui.

Orpheus : Cette réponse n'engage que vous.

NS : Est-ce que parce que, parce que je n'ai pas défendu les droits du mariage homosexuel, je dois être l'ennemi d'une communauté dont je conteste l'existence ? Je ne veux pas qu'on définisse les homosexuels par leur sexualité. Mon problème, c'est que dans la minorité, ils ne doivent pas se sentir opprimés.

Orpheus : Et pourtant, ils le sont... Vous comprenez donc que certains puissent être sensibles aux discours d'autres candidats ? Même si on ne glisse pas un bulletin dans une enveloppe sur un seul sujet... GayLib, l'association fort controversée des homosexuel(le)s de l'UMP, vous a d'ailleurs retiré son soutien et ne fait pas votre campagne cette année.

NS : Je ne souhaite pas être le candidat d'une communauté, d'une association ou d'un sujet, mais celui de tous les français. Ils feront leur choix...

Orpheus : Le 22 avril et 6 mai prochain.

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Mon choix pour le 22 avril est fait.
Ce n'est pas un mystère : je glisserai un bulletin PS comme je l'ai toujours fait.
Et pas seulement pour la position du candidat socialiste sur les droits LGBT (même si j'ai été plus que sensible à la présence d'images en ce sens dans son clip officiel de campagne).
Mon choix est fait. A chacun de faire le sien...

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* Avec 95% de vrais morceaux du candidat Nicolas Sarkozy, extraits de l'interview à Têtu.
Je pense donc ne pas avoir trahi sa pensée une seule seconde...