Quand j'étais enfant, je ne pouvais déroger aux éternels repas de famille du dimanche, tradition italienne oblige. A l'adolescence, mes cousin(e)s et moi avons pris des libertés avec les obligations rituelles de nos origines et de la distance avec ces tablées familiales dominicales interminables. Depuis le décès des grands-parents, seulement deux fêtes ont subsisté et font office de grand rassemblement de la tribu : Noël et Pâques, avec à chaque fois 2 repas, celui du soir et celui du lendemain midi...
Cette année, Maman a pris en charge l'organisation du banquet de Pâques, signe qu'elle ne laisse pas Parkinson trop prendre le dessus (ou qu'elle ne veut pas le montrer...) : "En fait, je préfère cuisiner pour 25 personnes que faire deux heures de route pour aller chez ta tante".
C'est pendant que je l'aidais en cuisine qu'elle m'a fait promettre de bien me tenir : "Tout doux avec qui tu sais... On sait qu'il est beauf, sois plus intelligent que lui et laisse couler...". Argh. Me voilà avec une muselière...

Dimanche de Pâques
Dire que cet oncle est con est vraiment lui faire honneur tellement le qualificatif minimise l'ampleur de sa bêtise. C'est en l'écoutant déblatérer une énième fois sur les femmes que je me suis décidé à le baptiser "L'Oncle Troll", celui qui enfile des clichés faussement provoc', celui qui n'a pas aucune retenue chez ses hôtes et n'hésite pas à déverser des propos extrêmes par l'égout qui lui sert de bouche... Bien évidemment tout y est passé. Cet oncle est cumulard, à la fois misogyne, raciste et homophobe. Deux fois j'ai failli intervenir. Juste je n'aurais pas du croiser le regard de Maman avant. J'ai refermé mon clapet... Je sers les dents et ravale ma salive et ma colère. Autour de la table, personne pour le remettre en place, ou si peu...
Plus tard dans mon lit, je tourne en rond. Impossible de dormir, juste envie de hurler. Et ce désagréable sentiment d'être un sous-citoyen, un moins que rien. Du coup mes angoisses personnelles prennent le dessus et je me ronge à faire un bilan de vie. Tout y passe, une nuit blanche des plus désagréables...

The nightmare before EasterLundi de Pâques
L'Oncle Troll est en pleine forme. Je découpe le rôti de veau et suis armé d'un long couteau quand il dit "Ce mariage pour les homosexuels montre l'omniprésence et la puissance du Lobby Gay. Il y a d'autres priorités, merde !".
Je regarde Maman pour me donner du courage à me taire. Sauf qu'elle incline la tête en sa direction en fronçant les sourcils... Mais oui, elle me donne son feu vert, là ! Elle n'en peut plus elle non plus...
"Mais tu vas la fermer ta gueule !"
(silence pas vraiment gêné au tour de la table)
"T'en n'as pas marre de déblatérer des clichés misogynes, racistes et homophobes ! Tu nous gonfles. On ne te répond plus pour ne pas que tu surenchérisses. Mais assez, Pitié ! Maintenant tu te réponds à toi-même pour mieux tourner en boucle. Il faut que ça s'arrête, ce n'est plus possible là. Je ne pense vraiment pas que l'ouverture du mariage soit une priorité gouvernementale, mais faire taire des gens comme toi devrait en être une. Vous nous pourrissez la vie à tous, tous les jours. Vous vous rendez compte que vous êtes des nuisibles ? Les gens comme toi font réfléchir sur les limites de la liberté d'expression. Putain, si c'est pour en faire ça, c'est bien la peine. Autant donner du caviar à des porcs... Si vraiment il y avait un lobby gay puissant, il y a longtemps que les homophobes auraient été émasculés. Alors t'es gentil, tu la mets en veilleuse..."
C'est alors que ma mère est intervenue en demandant "qui veut du veau ?", un léger sourire en coin... Mes petits-cousins étaient morts de rire. Il aurait bien voulu me répondre mais sa femme a posé une main sur son bras en l'accompagnant d'un "C'est bon là". Chacun son tour d'être sous muselière. Il a maugréé quelques mots à mon égard avant de sortir au jardin fumer une cigarette. Quand il est revenu, nous discutions de la première année de lycée de Loïc, un sujet nettement moins sulfureux...

Le souci avec les homophobes, c'est qu'ils posent problème même lorsqu'ils sont seuls...

Sinon, la tarte au chocolat était un vrai délice.

Quelque chose me dit que je vais bien dormir ce soir...
Fallait pas me casser les œufs... de Pâques.