GayPride Edition 2013


On clique là-dessus pour ouvrir mon album photo de l'édition 2013 de la gaypride...

Ma première impression a été de me dire qu'il n'y avait pas grand monde à cette marche des fiertés. La météo de ces dernières semaines aurait-elle suffit à décourager les moins vaillants ? La victoire de nos principales revendications aurait-elle rendu obsolète ce rendez-vous annuel ? Ne me dites pas que c'est à cause du premier week-end des soldes !
Je crois qu'on vit à une époque où les gens ne ressentent plus le besoin de dire "merci". Heureusement, tout le monde n'est pas comme ça... J'aurais pu marcher ce samedi rien que pour ça je crois. Aller et retour. Parce qu'exprimer un minimum de gratitude encourage toujours l'autre à faire davantage...
J'ai été tellement ému l'année dernière que peut-être attendais-je beaucoup trop de cette première marche de l'après-guerre...
Et pour les quelques connasses qui en sont encore aujourd'hui à dire que la gaypride donne une mauvaise image de l'homosexualité, je leur demande de lire ce texte jusqu'au bout, d'essayer de le comprendre. Et de relire encore une fois ce petit extrait :

"Bien sûr, tous les homosexuels ne sont pas comme ça. Mais voici la question fondamentale: et s'ils l'étaient ? Oui, si tous les gays étaient des folles ? Et si les lesbiennes étaient toutes des camionneuses ? Mériteraient-ils autant d'être reconnus?
Parce que la réponse est oui, la gaypride doit tous les représenter, jusqu'au dernier. D'abord le dernier. Car c'est lorsque les plus stigmatisés seront acceptés que l'horizon du combat pour l'égalité et le droit à la différence sera atteint. L'intérêt de la marche LGBT est bien celui-ci : unir les causes sans détacher les plus faciles.
C'est pourquoi, lors de la gaypride, nous sommes toutes et tous des folles, des tantouzes, des pédales, des gouines, des goudous et des travelos.
En attendant le jour où on trouvera absurde de chercher une bonne image de l'homosexualité, la parade devra encore chatouiller quelques consciences avec ses plumes."

Heureusement, ceux qui étaient présents étaient là pour fêter la chose comme elle devait l'être. Et ça, ça faisait plaisir et chaud au cœur à voir.

Sans oublier qu'en 14 ans de couple, cette marche était uniquement la troisième que mon homme daignait honorer de sa présence. Alors fatalement, je ne peux que garder un bon souvenir de ce millésime...

Jièm & Orpheus

Sous les drapeaux, tu seras un homme... 2/2

(Suite du papier précédent...)

Souvenirs d'Armée

Neuf mois de Service
J'arrive donc en novembre 1995 sur la Base aérienne 901 de Drachenbronn dans le Bas-Rhin, à quelques kilomètres de la frontière allemande. Avec ce que m'avait dit le Lieutenant J_ , je m'attendais à passer 9 mois enfermé dans les souterrains de la Ligne Maginot, mais non. En fait la base, aussi appelée "Commandant de Laubier" est coupée en deux. Dans la vallée, à l'air libre, la base en elle-même avec les bâtiments de vie, techniques et administratifs ainsi que le centre de formation de fusiliers-commandos. Et un peu plus dans les hauteurs, l'Ouvrage, un gigantesque centre de contrôle-radar enterré.
Fini le grand dortoir, je partage maintenant une chambre avec 5 autres appelés dont 3 avec qui j'avais fait mes classes. Fini les douches collectives aussi, ici il y a des cabines individuelles...
En fumant une clope dehors, j'entends un appelé plus ancien traiter un autre de pédé et continuer à l'insulter. On m'avait prévenu, les contingents d'octobre contiennent plus de jeunes étudiants que les autres, le niveau est un peu plus élevé que les autres promotions où on croise parfois tout et n'importe quoi. Va falloir faire gaffe.

Le lendemain, on me fait un laissez-passer et m'ordonne de me présenter au Major A_ de l'Instruction à l'Ouvrage. Trois postes de contrôle et des enfilades de galeries pour arriver jusqu'à lui. Dans son bureau, je me mets au garde à vous et le salue comme on m'a appris. Le vieux Major se marre : "Laisse tomber tout ça. Un 'bonjour Major' et une poignée de main suffiront maintenant. Tu as déjà réussi à ne pas te perdre dans les galeries. Bien. Il y a un appelé qu'on cherche toujours depuis dix ans, si tu tombes dessus...  Pas de conneries ici, on rigole pas sinon c'est le trou. Je suis à un an de la retraite alors va pas falloir me chier dans les bottes. Caporal V_ ! Va lui faire visiter la Salle de Contrôle, celle de briefing, et le labo de langue. En revenant, vous passerez par notre cafet'. Tu sais faire le café ? Avec un peu de chance il sera meilleur que celui de V_". Il y a des gens avec lesquels tu te dis tout de suite que tu vas bien t'entendre. Le Major en faisait partie, son air faussement bourru et ses épaisses moustaches grisonnantes n'arrivaient pas à cacher son sourire sympathique...
La Salle de Contrôle-Radar et son dôme est d'une taille impressionnante. Dans l'obscurité, avec pour seules lumières des petites veilleuses et les éclairages verts des écrans, j'ai le sentiment d'être dans un James Bond. Ça fourmille dans tous les sens dans un silence quasi monacal. J'y retrouve le Lieutenant J_ qui ne tarde pas à me présenter... sa femme, également Lieutenant au Contrôle... Je confesse une légère déception...
Au Labo de langue, je rencontre le Caporal M_ , l'appelé qui termine son service dans un mois et que je dois remplacer aux manettes... Il m'explique ce qu'on attend de moi : en résumé, donner des cours d'anglais aux contrôleurs aériens, leur faire lire la presse étrangère, leur passer les cassettes du labo et les corriger dans le casque-audio, et aussi préparer avec eux mon speech quotidien. Je devais jaqueter pendant 5 minutes de la météo et de l'actualité internationale dans la langue de Shakespeare devant tout le personnel de l'Ouvrage. "Colonel, Sirs, Ladies and Gentlemen, this is the english morning briefing... blah blah blah... This was the english morning briefing. Thank you for your attention. Have a nice day". Comme ça, du lundi au vendredi...
Il y a cette règle fabuleuse à l'Armée comme quoi la fonction prime sur le grade. Mon statut d'Instructeur me conférait donc pas mal d'avantages. Plus d'ordre à recevoir si ce n'est de mon Major ou du Haut Commandement, et je n'ai quasiment plus touché au balai jusqu'à la fin de mon service. Oui, on peut dire que j'étais un "planqué", surtout en comparaison d'autres appelés aux fonctions plus ingrates...  Le mois suivant, le Major rajoutait un chevron sur mes épaules. Et un peu plus tard encore un second. Je passais d'Aviateur à Caporal parce que sinon "ça ne faisait pas sérieux"...
On prend vite des habitudes et je commençais à trouver le temps long dans cette routine. Je proposais donc au Major d'animer un vidéo club en diffusant un soir par semaine des films en VOST sur la télé du labo. J'avais assez de VHS chez moi pour tenir jusqu'à la fin de mon service. "Okay, mais c'est en dehors de tes heures de service, ça ! Du coup, faut que je te signe un papier pour que tu puisses partir le vendredi midi et ne rentrer que dans la matinée du lundi. Ça te fera de vrais week-end à Paris, mon salaud...". Victoire !
J'alternais des vieux films (mon cycle Hitchcock) et des films contemporains. J'ai fait le plein du labo avec Le Silence des Agneaux. Après le film, on en discutait en anglais, un peu, en vidant des verres, beaucoup...

Sur une base aérienne, tout se sait. Ou presque. J'avais entendu parlé du "vide-couilles du bâtiment 4", un appelé qui effectuait la vidange de ceux qui le souhaitaient. Il se chuchotait même que des engagés étaient passés "entre ses mains". Je me disais que c'était gonflé quand même...
C'est alors que sont arrivés les grandes grèves de l'hiver 1995-1996 qui ont paralysé la France. Impossible de rentrer sur Paris le vendredi soir, et comme j'allais être bloqué sur la base, le Major en profita pour me coller de "semaine" dans un des bâtiments. "Puisque tu dois y passer au moins une fois, autant que ce soit une semaine où tu ne peux pas rentrer chez toi". Il s'agissait en fait d'être le concierge d'un bâtiment, surveiller que tout va bien, donner les clefs de chambre, distribuer le courrier, lancer les réveils et autres joyeusetés... Le hasard voulu que j'ai à m'occuper du bâtiment 4. Et comme le V.-C. était également bloqué sur base à cause des grèves, ce qui devait arriver arriva... Le samedi soir, il était seul dans sa chambre. Je frappais à sa porte et entrait lui demander une cigarette prétextant que j'avais oublié les miennes dans mon bâtiment. Il me dit "Okay, mais faut la mériter... Une cigarette contre un cigare ?". Message reçu, je verrouillais la porte et m'approchais en déboutonnant mon treillis... Et comme j'ai fait plus que me laisser sucer, je suis carrément repartis avec un demi-paquet !
Un mois plus tard, il avait fini son service. Il faudra se trouver d'autres fesses à claquer... Heureusement je n'étais plus consigné sur base et les grèves avaient cessé !

Je me rappellerai toujours du 22 février 1996. Nous étions dans la salle télé quand Jacques Chirac, Président et donc Chef des Armées, a annoncé la fin du service militaire obligatoire. Révolte chez les appelés, dégoutés de ne pas être passés au travers. Révolte chez les engagés pensant qu'ils allaient écoper du sale boulot s'il n'y avait plus d'appelés pour le faire. Moi, je m'en fous. Je ne me sens pas concerné. Mais toute cette agitation m'amuse. Je suis plus ennuyé par ce satané climat de l'Est. Cette neige qui n'en finit pas de tomber. On se pèle le jonc cet hiver-là. Et puis c'est le néant ici, rien à faire, rien à voir. Et les gens parlent une langue bizarre ponctuée de "hopla" et de "jo"...

En avril, j'ai à nouveau droit à une séance de tir au pistolet automatique. Un peu de distraction ! Je charge, je tire sur la cible. Résultat honorable, mais je suis déçu, j'avais fait mieux pendant les classes. Je prends la pose de Nikita dans le film de Besson et vide un second chargeur. Beaucoup mieux. Un officier de tir, le Lieutenant N_ , est surpris et me demande si j'ai déjà tiré. Toujours dans mon trip Nikita, je lui sors la fameuse réplique "Oui, mais pas des cibles" avec un sous-entendu légèrement différent de celui du film... Un sourire me fait comprendre qu'il a compris l'allusion. Je quitte le stand de tir avec une invitation à "venir tirer un coup" quand je veux. Je n'ai pas donné suite, ne sachant si je me faisais un film ou pas. Pas trop envie d'être la tête d'affiche d'un scandale...
Bizarrement, je le croisais plus régulièrement sur la base. Hasard ou coïncidence ? Un soir que nous étions dans un bar de Soultz à jouer aux fléchettes avec "mes élèves", il s'est joint à nous. On discute autour d'une bière. Il regrette de ne pouvoir aller au labo d'anglais, il aimerait apprendre mais comme il n'est pas contrôleur et n'a pas de laissez-passer pour l'Ouvrage... Je propose innocemment (ou presque) de lui donner des cours particuliers en échange de séances de tir. Deux jours plus tard, il est dans ma chambre à lire un article de Courrier International. Mais pas évident pour lui de se concentrer sur le texte avec mes camarades de chambre autour. La prochaine fois, nous irons chez lui, il a un appartement dans le village à côté de la base. Cette première visite chez lui a été très studieuse. Mais la suivante, le cours d'anglais a été expédié aussi rapidement qu'ont volé nos fringues. Me suis retrouvé plaqué sur son lit en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire... Bestial à souhait, le Lieutenant N_ ! Il a pris encore quelques cours (très) particuliers, mais de façons beaucoup plus irrégulières. Sa motivation à apprendre l'anglais avait quelque peu baissé maintenant qu'il connaissait mon cul "sur le bout des doigts"...

Mai 1996. Un pilote, le Capitaine B_ , tente pour la énième fois une licence internationale. Le Major A_ me met en garde, il a raté l'examen deux fois à cause de l'anglais, c'est sa dernière chance donc méthode intensive. Je ne suis pas certain que les journées entières que nous avons passé dans le labo aient joué pour beaucoup, mais il a eu son examen et a souhaité me remercier en m'offrant un vol d'essai. La semaine suivante, dans la voiture en direction de Strasbourg, il m'informe qu'il s'agit d'un vol un peu acrobatique, avec quelques figures. Même pas peur quand il me briefe sur les consignes de sécurité. Un peu plus quand il parle du parachute... Je signe la décharge de responsabilité en cas de pépins... Pendant que j'enfile la combinaison de vol, il m'indique les "sacs à vomi" dans la poche et me rappelle d'enlever le masque avant de les utiliser surtout. Je crois que le Capitaine B_ me prend un peu pour une conne... L'alphajet décolle. Je suis plaqué sur le siège. Un tonneau. Il me demande si je suis okay. Je surkiffe. Une vrille. Entre chaque figure, il fait une légère pause pour "prendre ma température" avant de continuer. Un piqué... Et une autre figure, et encore une... Plus ça va, moins je suis convaincant pour lui répondre. "Bon, et bien, puisque ça va, on les enchaine !". J'ai commencé par crier Nooooon avant de me saisir d'un précieux petit sac... L'alphajet s'est posé. Ils se sont mis à trois pour m'en sortir. Allongé sur le tarmac, je reprends mes esprits. Il arrive goguenard : "J'avais un deal avec tes contrôleurs. Tant que tu ne remplissais pas un sac, je te faisais tourner... Ah ah ah...". Le lendemain, les petits enfoirés ont eu un contrôle surprise, avec un barème sur 12 noté sur 20. Pour la forme. Parce que même avec l'épisode du vomi, j'ai tout de même vécu une expérience exceptionnelle...

Peu après, j'ai été dragouillé par le Major F_ de l'Equipement. Grand brun, carré, massif, viril. Il ne s'entendait pas trop avec mon Major A_ , il fallait donc être particulièrement discret. Comme il était plutôt très bien équipé et qu'il y avait une bonne alchimie auto-reverse des corps entre nous, on est resté plus où moins ensemble jusqu'à la fin de mon service (ce qui ne m'empechait pas de batifoler à Paris pendant mes permissions de fin de semaine). J'ai appris plus tard que  F_ était un pote du Lientenant N_ . J'avais du être recommandé...
Je mangeais souvent le soir chez F_ . J'y ai même passé quelques nuits, mais ce n'était pas évident. Et puis, ça commençait à se savoir...

Début juin, je suis de corvée à nouveau. Cette fois pour Vigipirate... Une nouvelle semaine sans rentrer à Paris. Une semaine à patrouiller armé dans l'aéroport de Strasbourg-Entzheim. Je n'aime pas. Vraiment pas.
J'ai beau avoir une arme chargée sur moi avec pour consigne de m'en servir si mon binôme-gradé me l'ordonne, ils peuvent toujours se toucher pour que je fasse feu. Alors, je n'aime pas. Vraiment pas.

Je n'aime pas non plus ce fusilier-commando qui vient squatter MON labo sous prétexte qu'il a un pote contrôleur qui vient y prendre des cours. Je ne me rappelle plus de son grade, juste qu'il parle trop fort et mal, ça m'énerve. Si encore il était mignon, je dis pas, mais non. Juste une grande gueule...
Un jour, il sort un couteau et se la joue gros dur menaçant avec moi, histoire de faire le warrior devant ses copains. "Tu vois ça, et ben, elle en a planté cette lame. Tu devrais te méfier, c'est une lame de 18 cm !". Il croyait m'impressionner en la faisant tournoyer entre ses doigts. Comme s'il allait me faire quoi que ce soit, comme ça, sans raison, dans une enceinte militaire ! Pas une seconde, j'ai eu peur... Alors s'est sorti tout seul : "Hey Rambo, on a les 18 cm qu'on peut !". Hilarité générale. Je ne l'ai plus jamais vu dans mon labo.
 
Tous les deux mois, de nouveaux appelés arrivaient sur la base. Un Sergent-Chef disait souvent "Tiens, voilà la chair fraiche !". Je les détaillais avec lui, pour des raisons bien différentes... Début Juin, mon Gaydar s'affole. C'était certain, celui-là ne suçe pas que des glaçons. Il est affecté au ménage à l'Ouvrage. Et comme on fait de temps en temps le trajet ensemble, on finit par sympathiser. Un matin, je lui demande clairement s'il est homo. Il bredouille, c'est un aveu. "Non, mais pas de souci. Je suis pédé aussi... Tu vas voir, c'est cool ici. Mais fait attention, si tu couches une fois, ça va se savoir. Y a pas plus piplette que les militaires !". On aurait pu passer du bon temps ensemble. Je crois d'ailleurs qu'il attendait que je fasse le premier pas. Hélas, il ne me plaisait pas physiquement. L'animalité d'un plan cul avec quelqu'un qui ne vous attire pas vraiment peut certes être très excitante, mais comme le Major F_ s'occupait déjà de régler mes niveaux de testostérones...

Fin juin, c'est l'anniversaire du Major A_ , coupes de champagne avec tout le service dans son bureau. Son secrétaire lui demande ce qui lui ferait plaisir pour l'occasion. Il prend une pause... "J'aimerais bien voir la tête de notre teacher quand le Colonel de la base lui remettra la Médaille de la Défense Nationale le 14 Juillet". Pensant qu'il plaisantait, j'éclate de rire. "Hé, Caporal, un peu de respect pour les honneurs militaires... Je devais donner un nom, c'est tombé sur toi. Pas d'bol, en plus c'est un dimanche, tu vas passer le week-end parmi nous, ça te fera les pieds". Galère...
Le samedi 13 juillet a été monopolisé par les répétitions du défilé du lendemain.
Le soir, je jouais au rami avec un l'Aviateur S_ qui était aussi resté sur la base ce week-end là. Il habitait dans les Alpes et n'avait pas toujours l'argent (ni le temps) pour rentrer chez lui chaque week-end. "Je suis en manque là. Trois semaines que j'ai pas vu ma meuf". Je ne relève pas et redistribue les cartes. "Qu'est ce qu'elle va prendre quand je vais rentrer". Un ange passe. "Je me laisserai même pomper par un keum tellement j'ai envie". Motus mais va pas falloir qu'il insiste longtemps encore... "Mais bon, à ce qu'on dit, tu suces que des gradés, toi !". Je me devais de lui prouver le contraire. Mon expérience me permet d'affirmer maintenant que ce ne sont pas les plus gradés qui ont les plus grosses...
14 Juillet. Soleil de plomb, un véritable supplice que de défiler avec le Famas dans Wissembourg. Je dégouline dans mon treillis. A la fin de la marche, j'enfile rapidement la tenue de cérémonie pour recevoir ma fameuse médaille. Impression bizarre, je suis en décalage, de la même façon que je l'aurais été dans la peau de Daniela Lombroso Chevalier de la Légion d'Honneur. Je me sens un poil usurpateur parce que je sais que cette médaille n'est pas appréciée des vrais militaires, justement parce qu'on la donne aussi à n'importe qui... Mais je joue le jeu, en me disant que ma Grand-mère appréciera et que je pourrai me la péter dans 20 ans... (hum, hum... je suis un peu en avance là...)
Après la cérémonie, je bois un verre avec mon Major et sa femme. "Tu sais, tu es le dernier que je recommande pour cette médaille avant mon départ à la retraite. Ça me fait plaisir que ce soit toi. T'es un gars bien". "Si ça vous fait plaisir, Major, ça me fait plaisir !". "T'es certain que tu ne veux pas prolonger de 6 mois ton service ? On n'aura pas de teacher avant novembre.". "Vous êtes sympa, Major, mais c'est bon, j'ai donné là. Je reprends mon job fin août et c'est un peu mieux payé que l'Armée. Et puis j'ai déjà eu la Médaille, j'vois pas ce que je peux avoir de plus...". Il commande une seconde tournée...
 
Le Circuit Départ

Remplir de la paperasserie administrative, Récupérer d'autres papiers officiels. Rendre ses uniformes. Négocier pour garder un treillis ou deux... Dernier plan avec le Major F_ , on sait que c'est le dernier, alors on en profite au maximum. On se dit adieu. On sait qu'on ne se reverra jamais. Nous n'étions pas amoureux, juste des sex buddies. Un autre appelé me remplacera...
Ça sent la fin...

La veille de mon départ, j'ai organisé un pot au labo avec le personnel de l'Instruction et mes élèves du contrôle. J'ai déjà tourné la page et suis impatient de rentrer sur Paris. J'apprends que mon Major va prendre la relève au labo et au briefing. Pour ce qui est de la soirée vidéo hebdomadaire, il étudie comment la maintenir... J'ai eu des cadeaux, des trucs un peu kitschs, un peu militaires, un peu alsaciens...
On a tous quitté le labo. En me serrant la main le Lieutenant J_ m'a dit : "Tu vois, j'ai bien fait de te faire venir à Drachenbronn. Je t'avais dit que ce serait sympa. Tu t'es bien amusé, non ?". Je confirmais. Dans la galerie vers la sortie de l'Ouvrage, J_ s'est retourné pour me lancer un "Je le savais ! Tout se sait sur base, tout se sait !". Il reçut de sa femme un coup de coude dans les côtes...

Le lendemain, j'étais dans le train pour Paris.
Voilà, ça c'était fait... Et maintenant ?




Depuis, le seul drapeau sous lequel j'ai marché est le Rainbow Flag...
J'l'aime bien celui-là aussi...Sous celui-là aussi, je suis un homme...
Comme je suis content de le retrouver ce week-end.


Sous les drapeaux, tu seras un homme... 1/2

Souvenirs d'Armée

Le Rainbow Flag n'est pas le seul sous lequel j'ai marché.
Il y a eu aussi le drapeau français. Car j'ai fait l'Armée, moi Madame...
Je ne sais pas comment je dois le prendre, mais à chaque fois que je dis ça, je déclenche des rires incrédules ou moqueurs dans l'assistance...
Et rapidement arrive la question "Et t'as couché ? Raconte !".
Alors déroulons le fil de la mémoire...
Ne vous attendez pas à quelques faits héroïques, je n'ai absolument rien fait pour l'honneur de la nation. J'ai retrouvé il y a quelques semaines ma Médaille de la Défense Nationale. Ça me fait doucement rire quand je pense à ce que d'autres ont réellement fait...

Les 3 jours

Ayant épuisé mes reports, j'ai donc été convoqué aux "3 jours", ou le premier parcours du jeune appelé sous les drapeaux qui en fait se résume en deux demi-journées de tests variés afin de déterminer si tu es apte ou pas au moyen de pipi dans un bocal, et de nombreux QCM (j'apprends au passage que j'ai une mauvaise appréciation du relief et de la 3D). On termine par un rendez-vous-discussion avec un militaire.
Je n'ai pas essayé de me faire réformer. A quoi bon, avec ma chance habituelle, je savais que ça ne marcherait pas, alors autant mettre toutes les chances de mon côté pour remplir cette corvée le plus intelligemment possible. Je n'oubliais pas aussi que ma Grand-mère maternelle, épouse d'un gendarme, fondait de grands espoirs sur ce passage obligé qui devait "faire de moi un homme"...
Quelques semaines plus tard, je recevais ma convocation. Contingent 9510 dans l'Armée de l'Air. Fièrement, j'en informais ma Grand-mère, pour m'entendre répondre "Pfff, l'Armée de l'Air, ce n'est pas l'Armée !". J'avoue que quelque part, ça me soulageait...
Je ne savais pas encore à quel point elle avait raison.

Les Classes

J'arrive en octobre sur la base aérienne 136 de Nancy - Toul Rosières pour 4 (ou 6, je ne sais plus trop) semaines. On est nombreux. Je découvre les joies des grands dortoirs de 20 jeunes gars et les nuits rythmés entre les ronflements des uns et les grincements suspects des sommiers des autres. Il y a aussi cet appelé qui sanglote dans son oreiller. Il me fait de la peine, je me dis qu'il n'a pas fini d'en chier, mais non, après deux semaines de larmes, il sera réformé...
Les journées sont d'autant plus longues qu'elles commencent tôt. D'abord la douche, collective... Je n'ai jamais été vraiment pudique, alors pas de traumatisme. Mon seul souci était en fait de réussir à mater sans me faire repérer, ce qui impliquait discrétion et contrôle de mes émotions... Puis les corvées de nettoyages et rangements, ce que j'ai trouvé de plus ennuyeux. S'en suivait le Salut au Drapeau sur la place d'armes, puis les différentes activités : Apprendre à marcher au pas en formation, à saluer, ainsi que de nombreux cours historiques et théoriques sur les différentes Armées... Ce que je préférais ? A ma grande surprise, moi qui suis plutôt pacifiste et pas vraiment manuel, le maniement des armes, les démonter, les remonter et tirer était ce qui me divertissait le plus.
Je me suis fait griller par un de nos instructeurs, le Lieutenant J_ , au bout de 3 semaines. Il avait peut-être déjà des doutes quant à mon orientation sexuelle, je ne sais pas, mais lorsqu'il m'a vu admirer dans un miroir ce que donnait mon cul dans un treillis, il a eu confirmation qu'il y avait bien quelque chose d'un peu louche... C'était bien la peine de faire gaffe en matant les autres, on est toujours trahi par le Narcisse en soi. Il s'est dirigé vers moi, a tiré d'un coup sec sur le scratch-velcro de ma veste où était inscrit mon nom en me disant "Le treillis n'est pas un vêtement de mode". J'aurais pu lui démontrer le contraire, mais je savais ce que ça signifiait. Mon nom allait être scratché sur le tableau des punis et j'allais écoper d'une ou deux corvées supplémentaires... Rien de bien grave, et puis je m'en foutais, le treillis me faisait un beau cul ! C'était là l'essentiel.
Les journées passaient ainsi. C'était long, mais si j'oublie les parcours du combattant, on rigolait bien.
Sauf cette nuit où nous fûmes réveillés à 3 heures du mat pour aller faire la guerre aux allemands (ou aux russes...) qui débarquaient... Habillés en moins de deux, après un passage à l'armurerie, nous voilà allongés dans la bouillasse de novembre à débusquer et chasser ses maudits teutons/ruskovs fantomatiques...
"Pan Pan ! T'es mort !". Mon premier paintball !

Vers la fin des classes, on nous annonce la Journée Portes-Ouvertes de la base. Notre mission du jour : Défiler au pas devant les officiels, les élus et citoyens de Nancy, de Toul ainsi que nos familles, et chanter en chœur la Marseillaise ainsi que deux autres chants militaires bien lourds et plombants...
Dans notre dortoir, notre section s'acharnait à apprendre ces foutues paroles que nous devions connaitre sur le bout des doigts si nous ne voulions pas être "déscratché". Les mélodies étaient d'une pauvreté affligeante, atones et monotones, tristes à mourir, ce qui n'aidait pas non plus à mémoriser le truc. Alors j'ai commencé à fredonner We Will Rock You en changeant les paroles du refrain par "Ooon est tous dé-scratché !". Rapidement, dans la joie et la bonne humeur, mes camarades de chambres se rassemblent autour de moi et m'aident à réécrire les paroles des couplets avec des faits de notre quotidien... Un beau bordayle qui attire les appelés des autres chambres quand nous répétons plus tard notre version de ce classique ! Comme je regrette de ne plus avoir de trace de ce texte... Et ce qui devait arriver arriva, un Sergent-Chef débarque dans la chambre, ni une ni deux au garde-à-vous, il ramasse la feuille à mes pieds... et me descratche... Là, c'est certain, je vais finir au trou !
Le lendemain, le Major m'informe de ma punition : je vais devoir servir le repas pendant trois jours au mess des officiers et passer devant le Colonel de la base. Si je me fous de la première punition, la seconde m'angoisse, car je me doute qu'il n'en restera pas là. Le midi, en posant l'assiette devant un Capitaine, je l'entends siffloter We Will Rock You. L'enfoiré, il me nargue, mais je ne peux rien répondre... En fin de journée, je suis au garde à vous, tremblant comme une feuille, dans le bureau du Colonel. Il me parle de la journée portes-ouvertes, de son importance, de l'image de l'Armée... Il me dit qu'il aimerait qu'avec mes camarades on améliore notre chanson, que je lui soumette une version qui édulcore un passage scabreux, et qu'on la chante tous ensemble le jour J. Je souris, enfin un peu de gayté ! J'ai envie de lui sauter au cou et de lui faire un bisou. Je me contente d'un "Oui, mon Colonel !".
Arrive le fameux jour... On vient de finir nos titres officiels. Dans ma tête "And now, it's showtime !". Je sors du rang et vient me mettre quelques pas devant le bataillon. Tous ensemble, on joue du velcro sur notre poitrine et frappons du pied en rythme en guise d'intro. Scratch Scratch Frappe du pied. Scratch Scratch Frappe du pied. Quand je me sens prêt, je commence le premier couplet tout seul. Puis toute la section en chœur "Ooon est tous dé-scratché !" Scratch Scratch Frappe du pied "Ooon est tous dé-scratché !". Scratch Scratch Frappe du pied... On continue ainsi l'autre couplet et les refrains adlib tous ensemble. On termine dans l'euphorie en faisant voler nos calots en l'air façon remise de diplôme US. Applaudissements. Merveilleux souvenir pour terminer ces classes...
On allait pouvoir rentrer chez nous pour le week-end. Dans la voiture avec mes parents sur la route du retour vers Paris, je me souviens de mon père qui me dit avec un sourire et deux doigts de fierté aussi "T'as pas pu t'empêcher de faire le con !". Je me souviens aussi de ma réponse : "Attends, j'ai réussi à faire chanter du Queen à l'Armée ! Respect !". Je me souviens également de ce qu'a dit ma mère ensuite en riant : "On va éviter de raconter ça à Mémé..."

L'affectation

Retour sur la base de Nancy pour quelques jours, le temps de remplir des formulaires avec des vœux d'affectation. Je ne sais plus trop ce que je demande, des trucs à proximité de Paris, très certainement...
Le Lieutenant J_ m'appelle et m'invite à l'accompagner marcher dehors pour fumer une cigarette. On discute de comment j'ai vécu les classes, ce que je pense de l'armée, de ma vie à Paris... J'ai longtemps repensé ensuite à cette balade. Est-ce qu'il savait que j'étais homosexuel ? Est-ce qu'il me tendait une perche pour savoir si je voulais être réformé et éventuellement me dispenser des 9 mois suivants ? Tout était dans le sous-entendu... Je n'ai aucune certitude là-dessus encore aujourd'hui. J'ai joué franc-jeu et ai dit quelque chose du genre "Je ne pensais pas que quelqu'un comme moi vivrait les classes aussi bien. J'ai pris ça comme une colonie de vacances avec des activités sympas et d'autres un peu plus chiantes (...) Maintenant, je n'ai jamais eu envie de faire mon service, prendre les armes n'est pas compatible avec mes convictions pacifistes. Mais bon, à devoir le faire, autant le faire bien, donc ça me casserait vraiment les couilles d'avoir une affectation à la con... Si je pouvais en tirer quelque chose de bien, ce serait déjà ça...".
Deux jours plus tard, J_ me donne les papiers de mon affectation : "Tu as une maitrise d'Anglais. On a besoin d'un teacher sur la base aérienne 901 où je suis". J'ouvre l'enveloppe. Drachenbronn. Drachenbronn ?!? Mais c'est où ça ? "A la frontière franco-allemande. La Base 901 est un contrôle-radar enterré dans les vestiges de la Ligne Maginot. Tu ne vas pas beaucoup voir le soleil, mais ça ira. T'inquiète."

Je quittais Nancy avec un léger pincement au cœur, j'avoue.
J'étais pédé et j'avais survécu au truc. Sans qu'on me brime.
Mais qu'en serait-il en Alsace ? Tout à recommencer. Angoisse.
Je n'avais pas la moindre idée de ce qui m'attendait là-bas.
Si j'avais su...

(A suivre...)

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