Bonsaïnée 2015

Bonne Année 2015

Carambolage émotionnel

Station Père-Lachaise, ligne 2 du métro parisien.
Les portes s'ouvrent, je monte. Avec les vacances, l'affluence est moindre mais un homme joue quand même des coudes pour monter plus rapidement que les autres et gratter une place assise. Je prends mon temps. Zen. Il reste une place de libre en face d'un père, la trentaine bien amortie et son fils, six ans au plus, peut-être moins, à côté de lui. Le père joue sur son smartphone ignorant son fils. Bonjour l'éducation...

Station Ménilmontant.
"- Ah perdu ! A ton tour...
- T'as fait combien, papa ? (le p'tit prend l'appareil) Whaaaa ! Je vais avoir du mal..."
Bon okay, j'ai jugé trop vite. Il n'ignore pas son fils. Ils jouent ensemble. A Looney Tunes Dash, un running game avec les personnages de dessins animés... Bon je n'avais pas complètement tort, ce n'est pas un jeu éducatif... C'te bouille qu'il fait en jouant ce p'tit morveux, trop adorable.

Station Couronne.
"- Oh non... Pfff, j'ai perdu... A toi... (il lui donne le téléphone). Heureusement que le Père Noël me voit pas perdre parce que je veux mes cadeaux demain.
- Mais non, le Père Noël apporte les cadeaux si tu es gentil, pas si tu es le meilleur au jeu video...
- Et je suis gentil, hein ?
- Très !
- Il va m'apporter plusieurs cadeaux de ma liste alors, tu crois ?
- Je ne vois pas comment il pourrait faire autrement... "
Ils commencent à m'agacer ces deux là... Je regrette tellement d'avoir oublier mes écouteurs chez moi. Toujours prendre de quoi s'isoler du monde dans le métro...

Station Belleville.
Le père donne un coup de coude à son fils qui lève la tête. Le petit voit une dame âgée qui arrive derrière moi.
"Bonjour Madame, prenez ma place, je vais m'assoir sur les genoux de papa."
Rhaaaa ! Mais c'est quoi ce môme, toute cette perfection, ce n'est pas possible ?! Il escalade maintenant les genoux de son père, la dame prend sa place, le gratifie d'un sourire qu'il lui rend. Je retiens un soupir...

Station Colonel Fabien.
Le père vient de finir sa partie sous les yeux admiratifs de son fils. "T'as encore gagné ! T'es trop fort. T'as gagné un bisou !". Le mioche se contorsionne pour attraper des bras le cou de son père et attirer sa joue à lui. Il l'embrasse. Devant tout le monde ! Un peu de pudeur, bordel ! Mais c'est quoi cet affichage ostentatoire de bonheur à la fin... Quelle indécence ! J'ai chaud là. Je dois être un peu rouge.

Station Jaures.
"- Dis, le Père Noël, comment il sait que nous serons chez Mamie demain ?
- Mamie lui a envoyé un email pour lui dire.
- Ah, bien. Donc il apportera mes cadeaux chez mamie ?
- Oui."

Station Stalingrad.
Et ça papotte, et ça se fait des câlins... ça n'en finit plus c't'histoire...
Vivement la prochaine station, que je puisse descendre et m'extirper enfin de cette mélasse romantico-familiale avant que j'en prenne un pour taper sur l'autre...

 
Station La Chapelle.
"Papa, je t'aime plus que le Père Noël mais faut pas lui dire."
Trop, c'est trop, je craque. Je me lève, regarde le petit droit dans les yeux : "Faut quand même que tu saches que le Père Noël n'existe pas et qu'on te fait du chantage aux cadeaux pour que tu sois gentil !". Et je suis sorti de ce wagon infernal...








...
...
Bon d'accord, en vrai, je suis descendu au métro Stalingrad.
C'était plus sûr et ça fait du bien de marcher un peu.
L'inconvénient, c'est ce petit vent glacial qui fait sortir les larmes...

...
C'est moche la jalousie...

Chambre 338

Chanbre 338

Les malades atteints d'une maladie neurologique dégénérative comme Parkinson se cassent la gueule tôt ou tard, c'est inéluctable. Et lorsque ça leur arrive, il faut les rafistoler. Dimanche dernier, Maman s'est gaufrée. Encore. Papa a appelé le Samu. Ils l'ont emmené au Centre Hospitalier de Meaux. Les radios ont confirmé une fracture du col du fémur. Encore. L'année dernière, à la même époque, cela s'était soldé par une prothèse côté droit. Cette année, ce sera côté gauche... Je n'apprends la nouvelle que lundi dans l'après-midi. Cette foutue habitude de mes parents de ne pas me dire les choses quand elles arrivent... Le lendemain, je remonte sur Paris et me rends à Meaux. Je n'aime pas Meaux, c'est la ville de Copé, je n'aime pas Copé. Premier contact avec l'hôpital sur son Parking. Je le trouve laid, d'un autre siècle. Second contact à l'intérieur, je le trouve vétuste. Papa dit "C'est la chambre 338. Si tu oublies le numéro, c'est la seule chambre du couloir sans plaque mais avec le numéro écrit au stylo à bille sur le mur". Ambiance.

"Non, elle ne sera pas opérée aujourd'hui. Peut-être demain". J'ai entendu cette phrase chaque jour. De la part des infirmiers, parce que les médecins et chirurgiens, on ne les voit pas, ils sont certainement débordés. On se dit que ça doit signifier que son cas n'est pas si grave, qu'il y a plus urgent... Alors pourquoi de la morphine pour calmer la douleur en attendant ? Là, tu prends conscience de la misère de La Santé en France, manque de moyen, manque d'effectifs... Jeudi, ils ont trouvé un Chirurgien disponible, un créneau 4 jours après la chute, après 4 jours de médocs pour palier à la souffrance. Ils l'ont emmené au bloc à 11h sans prévenir la famille... On a attendu dans la chambre. On n'a eu des nouvelles qu'à 17h par un infirmier pour nous dire qu'elle était en salle de réveil et que "tout semblait normal". J'imagine qu'à son âge, les infirmiers préfèrent rester prudent. Nous n'en saurons pas plus ce jour-là.
Le lendemain de l'opération, Maman est radieuse. Elle a pleinement conscience de ce qui lui est arrivé, la douleur de l'opération est supportable, tout va bien. On ne sait pas trop ce qui lui ont fait, broches ou prothèse, mais on nous dira certainement... Non, en fait, il faudra demander. Trois fois. Il n'y a pas de feuille individuelle nominative qui récapitule le dossier du client au pied du lit. Ils doivent aller voir quelque part ailleurs. C'est peut-être plus confidentiel mais ce n'est pas très pratique pour l'organisation... Deux infirmières préparent le lit voisin de celui de maman. L'une dit à l'autre "Je ne la sens pas la petite nouvelle. Encore une qui va rester trois mois avant de disparaitre". Ambiance... Maman va bien, c'est l'essentiel. Je vais enfin pouvoir rentrer passer une nuit chez moi à Paris. Je reviendrai demain. J'ai passé une soirée vide, rassuré, sans penser à tout ça...

Samedi 13h30. Nous rentrons dans la chambre. Maman a le visage agressif et engueule violemment mon père de l'avoir abandonné toute la matinée dans _sa chambre_ alors qu'elle l'appelle depuis des heures pour qu'il l'aide à descendre au salon. Manifestement, elle se croit chez elle. On tente de la rassurer, mais rien n'y fait. Elle n'est plus dans la réalité. Elle parle avec "des gens" par-dessus mon épaule. J'hésite à lui dire qu'il n'y a que Papa et moi. Elle n'aura pas eu une minute de lucidité de l'après-midi. Elle aura discuté ainsi avec plusieurs personnes de la famille, avec Maria, sa femme de ménage, avec son kiné... Jusqu'à cette conversation assez surréaliste :
- Il a trouvé une école ?
- Qui ça ?, je demande
- Ben, ton fils ? Comment ça "qui ça" ?
- Ah, j'ai un fils ?
- Oui. Même deux. Ça lui fait quel âge au grand maintenant ?
Ok, donc là, il n'est même plus question d'être désorienté, elle n'est plus dans la réalité mais un monde qu'elle a réécrit à sa convenance. J'imagine que dans son monde idéal, j'ai une vie bien rangé de père de famille. J'imagine qu'elle a verbalisé ici un regret qu'elle n'avait jamais exprimé. Message reçu, cinq sur cinq, en pleine poire... Mais ce n'est pas ce qui me torture le plus. Plusieurs fois, elle m'attrape la main violemment en me disant de la retenir parce qu'elle tombe. Je lui dis qu'elle est allongée dans son lit, elle me regarde incrédule et me soutient qu'elle est en train de vaciller au jardin. Je pense à cette désagréable impression de chute dans un rêve, c'est ce qu'elle doit vivre, ça doit être terrifiant... "Mais non maman, tu es allongée dans ton lit d'hôpital, je suis là avec papa, ne t'inquiète pas, tout va bien, ce sont les effets secondaires de l'anesthésie".
Et puis Papa remarque que son pilulier Parkinson contient des médicaments qui auraient du être pris, son traitement est lourd et certains cachets doivent être pris régulièrement, scrupuleusement à heures fixes. J'attrape le pilulier et vais voir une infirmière dans leur bureau. "Je ne sais pas, je suis élève-infirmière. Je préviens la responsable qui passera vous voir dans la chambre". 16h, elle est censée prendre un comprimé, personne ne s'en occupe. 17h, un infirmier passe avec un gros dossier qu'il consulte pendant que mon père lui pose des questions. L'année précédente, au CHU de Foix, à chaque fois que quelqu'un entrait dans la chambre, il se présentait, nom et fonction. Pas à Meaux. Alors Papa demande :
- Vous êtes le médecin de garde ?
- Non, je suis infirmier... Je regarde dans son dossier... En effet certains médicaments n'ont pas été donnés. Je vais demander pourquoi et s'il faut lui donner.
- Son neurologue nous a dit qu'il ne fallait jamais interrompre ses médicaments brutalement et...
- Je vais me renseigner, monsieur...
(...)
- C'est vous qui allez vous occuper d'elle tout le weekend ?
- Non, moi je suis là aujourd'hui seulement. (...) Je fais un remplacement d'un infirmier absent pour maladie (...) Je ne fais pas partie de l'hôpital, j'appartiens à une société extérieure (...) mais ne vous inquiétez pas, je vais me renseigner...
Meaux n'est pas Foix. La vraie vie, ce n'est pas Grey's Anatomy... Je suis énervé et déconcerté. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai envie d'une cigarette. Je ne cracherai pas sur un petit joint pour être honnête... 18h30, on lui apporte son plateau repas, aucune consigne de l'infirmière de lui donner ou pas son cachet Parkinson... 19h30, on s'apprête à partir, Maman est toujours dans le cosmos... Papa passe par le bureau des infirmières, l'une d'elle interpelle le médecin de garde, une petite femme avec un fort accent hispanique et un français vacillant... Je n'écoute qu'à moitié. Je pense "misère et tristesse de la Santé en France", je pense "on ne veut/peut payer du personnel à sa juste valeur, on fait venir du personnel européen à moindre coût", je pense que je ne suis pas en état de faire une analyse socio-politique de la situation, que je me trompe peut-être, mais jusqu'à quel point ?
Je quitte cet hôpital comme on sort d'un bloc opératoire, disloqué, épuisé, en vrac. Je dis à Papa que si on ne peut avoir d'explications, si ça ne va pas mieux, il faut la changer d'hôpital, que mon impression de vétusté a laissé place à une autre d'insécurité. Il me dit qu'on ne change pas d'hôpital comme ça...

Dans la voiture, je repense à une affiche vue dans les couloirs de l'hôpital, un prospectus de l'Association Meldoise de Soins à Domicile.
- Tu savais que les habitants de Meaux sont les Meldois ?
- Non. C'est marrant, ça fait un peu "Met le doigt".
- Ouais. Enfin, leur Maire c'est pas vraiment le doigt qu'on aimerait lui mettre. C'est plus la main... Dans la gueule...
On a ri, 30 secondes, avant de repartir dans nos pensées...

La voix de mon homme au téléphone, ça fait du bien. Relire les messages reçus d'amis aussi. Maman n'est pas seule dans son épreuve. Moi, non plus. C'est déjà ça...

 

____ EDIT de 19:40 ____

Nous sommes arrivés aujourd'hui en tout début d'après-midi, et avons été accueilli avec le sourire mutin d'une gamine qui aurait fait des bêtises. "L'infirmière m'a dit que j'avais été spéciale hier... Je me souviens de rien. C'est la drogue ça, hein !". Manifestement, elle n'a pas trop de souvenirs de son épisode délirant de la veille. Quelque part, c'est aussi bien. Elle nous a demandé des détails. Nous avons choisi d'être relativement évasif... Et de tourner tout cela sur le ton de l'humour...
Bien évidemment, nous avons inspecté son pilulier-Parkinson. Les cachets depuis la veille 22h30 ont tous été administrés. Pour ceux d'aujourd'hui, elle est capable de nous confirmer les horaires de prises. Ses hallucinations étaient-elles dues au prises récentes de morphine pré-opératoire, aux effets secondaires de l'anesthésie, à l'arrêt de son traitement Parkinson ? Nous ne saurons jamais vraiment.
Croisons les doigts pour que cet épisode reste un mauvais souvenirs... La route est longue encore avant son retour à la maison.
Je repars ce soir de l'hôpital de Meaux un peu plus léger que la veille...
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