Rose Rainbow

Bientôt deux semaines que la loi sur l'ouverture du mariage aux LGBT a été votée, il ne manque plus que le verdict du Conseil Constitutionnel et la promulgation par le président de la République. Je continue à croire qu'il ne s'agit là que de pures formalités. Alors pourquoi un énième billet sur le sujet ? Surtout que j'avais dit encore il y a peu que j'étais fatigué d'écrire dessus et que j'étais impatient qu'on passe à autre chose...
Cette fois je ne vais pas parler des opposants à la loi, mais je vais compiler mes incessantes réponses faites aux homos et amis qui blâment le Parti Socialiste sur ce dossier. Sachant que j'ai toujours été de sensibilité de gauche, ils ne se privent pas pour me faire part de leurs reproches. J'avoue aussi les titiller un peu quand je sais qu'ils sont (ou ont été... huhuhu!) de droite. Ça, c'est mon côté "chieur de service"...

Commençons par dire aux homos de droite (ainsi qu'à ceux que les dérives homophobes de l'UMP et les positions plus que mitigées de l'UDI ont ouvert les yeux...) que je les comprends. Sous le règne de Sarkozy, j'aurais été bien en peine si ce projet de loi avait vu le jour. Autant être honnête, j'ai été soulagé quand en janvier 2011 le Conseil Constitutionnel, qui avait été sollicité par des députés de gauche, a déclaré qu'il n'était pas de son ressort de se substituer au législateur en la matière. Il est compréhensible de vouloir qu'un beau projet comme celui-là soit porté par un parti politique dans lequel on se reconnait plus ou moins. J'admets qu'une belle unanimité générale au delà des lignes politiques aurait été une apothéose orgasmique, mais je n'y ai jamais cru une seule seconde.
Ceci étant dit, petit florilège de mes réponses faites à ce que j'ai pu entendre ou lire ici et là (ne venant pas toutes de LGBT de droite d'ailleurs...)

"Le gouvernement a fait trainer ce projet sur un an, laissant le temps et la place aux opposants pour s'organiser et exprimer leur homophobie. Alors qu'avec un 49-3, la loi serait passée plus rapidement."
Déjà, je ne connais pas suffisamment le champ d'application de cet article pour savoir s'il aurait pu être invoqué ou non. Mais là n'est pas le problème. Il ne s'agit ici pas d'une simple réforme fiscale ou d'un budget à faire passer, mais d'un changement en profondeur de notre vision de la société. Cette loi doit être gravée dans le marbre pour survivre aux valses habituelles des partis politiques au pouvoir. Il était donc important qu'elle suive le processus législatif habituel, pas à pas. D'abord, les consultations, l'écriture du projet, la commission des lois, puis les lectures et votes à l'Assemblée Nationale et au Sénat. Cela prend du temps, et de l'avis unanime des professionnels aptes à en juger, cette loi n'a pas plus trainé qu'une autre. Le calendrier a d'ailleurs été accéléré en phase finale.
Par ailleurs, il a été trop souvent reproché au précédent locataire de l'Elysée de faire des lois "au petit matin", sans consultation et sans tenir compte de l'opposition pour en faire de même avec un si noble projet d'égalité.
Alors oui, la parole homophobe a été libérée depuis un an, voire même banalisée. Mais la faute à qui ? A ceux au gouvernement qui ont fièrement porté ce projet ? Non. Je n'ai pas à rougir des moindres réponses qui ont été faites par les ministres ou par les députés de gauche(s) dans l'hémicycle. Pour avoir suivi la quasi intégralité des débats, je me souviendrai toujours de mes applaudissements (et de mes larmes d'émotion) à les entendre rétorquer aux antis. Alors à qui la faute ? A mon humble avis, principalement aux média qui n'ont eu de cesse de tendre le micro et d'ouvrir leurs pages aux responsables homophobes. Quand pendant des semaines, Frigide Bardot parvient à enchainer les plateaux TV et à apparaitre presque tous les jours sur toutes les chaines généralistes entre 19h et 20h30, il ne faut pas aller chercher plus loin le vrai responsable. Que les média soient le vecteur de la liberté d'opinion et d'expression est tout à leur honneur, mais qu'ils entretiennent et attisent le feu de la contestation sous prétexte de faire de l'audience buzzatique est nettement plus suspect et condamnable. On parle beaucoup d'égalité de temps de parole en période électorale, il aurait été judicieux que celui-ci soit observé sur la question de l'ouverture du mariage...
On pourrait également blâmer les associations LGBT qui n'ont pas su/voulu/pu se porter partie civile en déposant plainte contre les propos homophobes à chaque fois que cela aurait été justifié et nécessaire. Mais avant de reprocher quoi que ce soit aux associations, je veillerais d'abord à m'engager moi-même, ou à les soutenir au moins plus que je ne le fais déjà.

"Le PS connaissait depuis des mois la stratégie des antis, notamment sur la question de la PMA/GPA et n'a rien fait pour éduquer l'opinion."
Depuis des mois ? Non. Depuis des années ! Depuis Christine Boutin et sa Bible dans l'hémicycle, depuis les manifestations anti-PaCS de 1999, aucun politique ne peut ignorer la forte présence des lobbys religieux, et leurs arguments on les connait tous parfaitement. Ils ont été savamment distillés depuis 15 ans par leurs représentants et relayés sans la moindre honte par des élus. Non, ce qui a vraiment été minimisé est le pouvoir de mobilisation des opposants, leur forte communication via entre autres les réseaux sociaux et l'ampleur de leurs ressources financières pour organiser tout cela. Oui, cela a complètement surpris et déstabilisé. Mais que pouvait-il être fait pour empêcher cela sans être taxé de museler l'opinion ou d'agir en dictateur ?
Ils n'auraient rien fait ? Si justement. Sur la question de la PMA/GPA qui était présentée comme le point le plus clivant dans l'opinion : en le retirant du projet de loi, une griffe des opposants a été plus ou moins limée. Cela ne les a pas empêché d'insister encore et encore avec cet argument, mais la réponse était maintenant imparable : "vous faites obstruction sur un point qui n'est pas dans le texte !". (Je reviendrai plus bas sur la PMA/GPA)
Pour ce qui est de l'éducation de l'opinion ? 136 heures de débats parlementaire ! Du quasiment jamais vu, avec une couverture et une disponibilité globale de l'information. Qu'on me dise clairement ce qu'aurait du faire le PS de plus pour éduquer ou sensibiliser sans être taxé davantage de manipulation ou de prosélytisme. Chaque point de la loi a été minutieusement expliqué, chaque mensonge a été démenti, chaque peur a trouvé réponse. Sans oublier que le plus beau rôle éducatif, c'est cette loi même qui la jouera, avec le temps...
Par ailleurs, je crois qu'on ne peut éduquer si rapidement un individu dont les convictions homophobes sont si solidement ancrées dans des justifications religieuses. Une peine perdue qui leur donnerait la possibilité d'un droit de réponse. Il n'y a qu'à voir les mailings de propagande des antis. Ils envoyaient des arguments, et si vous répondiez, ils réagissaient par les mêmes arguments sans tenir compte des objections que vous aviez formulées : un mp3 verrouillé en mode replay. On ne peut éduquer par la parole quelqu'un qui se bouche les oreilles.
Alors oui, on aurait pu aimer que le premier secrétaire du Parti Socialiste donne plus de voix. Personnellement, je n'ai jamais attendu grand chose d'Harlem Désir, je n'ai donc pas été franchement déçu. D'un autre côté, je me dis que ne pas avoir été au taquet pour répondre aux antis a permis à l'opinion d'adhérer au projet de loi par désaccord avec les antis. Je ne compte plus les personnes (et personnalités médiatiques) qui ont déclaré "je ne me sens pas concerné, mais quand j'entends les propos de ceux qui sont contre et du danger qu'ils représentent pour la société, je suis devenu favorable à cette loi". Laisser ses opposants se décrédibiliser plutôt que de les affronter n'est pas la stratégie la plus glorieuse, mais il faut bien reconnaitre qu'elle a porté ses fruits. Les manifestations pro "mariage pour tous" auraient-elles compté autant de sympathisants hétéros si le PS avait été plus présent ou si les principes et valeurs fondamentales de notre société n'avaient pas été malmenés ? Je ne sais pas, je me pose la question. Je me souviens qu'au tout début des auditions, quand l'homophobie commençait à poindre, nous étions plusieurs à déplorer le silence de nos amis hétéros et leur dire que nous avions besoin de leur soutien. (Je n'oublierai pas non plus la joie de les voir s'engager ensuite ou avant même pour quelques-uns...).

"Hollande a été idiot avec son histoire de clause de conscience"
Bon, ça j'y ai déjà consacré un papier dans le feu de l'action, je ne reviens pas dessus.

"Maintenant que la loi est votée, le PS abandonne la loi sur la famille et la PMA/GPA"
Vu la situation politique actuelle, les côtes de popularité du pouvoir, pouvait-il en être réellement autrement ? Nous ne sommes pas encore sortis d'une mini guerre civile qui a divisé pas mal l'opinion, si le gouvernement veut pouvoir œuvrer sur d'autres dossiers majeurs, il lui faut un minimum de soutien. D'où la nécessité de calmer le jeu. On peut déplorer ce "manque de couilles" mais y a-t-il une alternative réaliste ?
Autant le dire clairement tout de suite, j'avoue que sur la GPA, je n'arrive pas à avoir une opinion personnelle définitive. Ma position évolue continuellement en fonction de mes interlocuteurs. Je ne suis pas mécontent d'avoir un peu plus de temps pour clarifier ça dans ma tête.
Pour ce qui est de la PMA, je reste confiant. Trop optimiste ? Peut-être. J'ai appris la semaine dernière qu'une amie y avait eu recours et que la troisième tentative a enfin été couronnée de succès. Elle est hétérosexuelle, me direz-vous. Certes, mais elle n'est pas mariée, comme quoi le mariage n'est pas la condition requise pour la PMA. Dans les faits, il y a des portes ouvertes qui seront franchies avec le temps... L'important est que l'enfant qui sera né puisse être reconnu par les deux membres du couple et c'est ce que cette loi permet.
A l'époque du PaCS, il avait été fait jurer au PS que le mariage ne viendrait jamais sur le tapis... Aujourd'hui il en est de même avec la PMA. Oui, c'est frustrant de ne pas avoir le package complet tout de suite, alors patientons encore un peu... Ça viendra.

"J'en veux à mort au PS sur le mariage pour tous, ils ont foiré le texte, ils portent la responsabilité de l’ambiance".
Moi, je ne vois pas comment le PS aurait pu faire autrement. Et n'importe quel autre texte aurait subi le même accueil. Les opposants étant plus proche des fanatiques, ils ont un aveuglement qui obstrue toute démarche intellectuelle appropriée. Alors on peut ergoter sur telle rédaction de tel article, au final, la violence aurait été exactement la même.
Par ailleurs, avant d'en vouloir "à mort au PS", je me demanderais quel autre parti politique aurait eu la volonté et le courage de sortir ce texte dans le contexte économique actuel et de le faire voter malgré les pressions de toutes parts. Peut-être EELV, oui, ils ont été exemplaire sur toute la durée des débats, mais je pensais à un parti en position de gagner les dernières présidentielles. A part le PS, je n'en vois pas un seul... Croire que cette loi ait pu passer idylliquement est un fantasme de jeune militant idéaliste. On peut croire aux licornes aussi...

Pour conclure ce trop long papier, je dirais que depuis les années que je prends position pour cette égalité, je préfère la gratitude à l'aigreur. Illuminé béat ? Si vous voulez. Mais certainement pas quelqu'un qui se plaindrait des effets secondaires d'un médicament lui sauvant la vie.